Un ou deux Faust ?

 

 

Que désigne-t-on exactement quand on évoque « le Faust de Goethe » ? Ce titre présente une ambiguïté, du fait qu'il y a en réalité (au moins) deux Faust de Goethe. Certes, le Second Faust est présenté a priori comme la « seconde partie de la tragédie ». Mais l'important écart entre les deux parties cautionne facilement l'idée de deux textes distincts : le Second Faust a en effet été publié près de 25 ans après le premier. En outre, la forme et la trame particulièrement éclatée de cette seconde partie en font un objet trop différent du Premier Faust pour qu'on puisse les coller sans autre forme de procès.

Cette ambiguïté a donné lieu à des options éditoriales assez variables au fil du temps. A quoi peut-on s'attendre lorsque la couverture d'un volume affiche comme titre : « Goethe – Faust » ? Deux éditions françaises de 1840 nous offrent un joli cas d'école : Charles Gosselin, éditant la traduction de Nerval, opte pour une dissociation des deux parties dans un titre double : Faust de Goethe suivi du Second Faust. La même année, paraît chez Charpentier, sous le titre Le Faust de Goethe, traduction complète, une traduction des deux « parties » de la tragédie, auxquelles s'ajoutent encore quelques fragments (les « paralipomènes »).

Ayant eu vent du projet de Gosselin, Charpentier avait mis en garde son confrère par voie de presse : « Je vais poursuivre devant les tribunaux M. Charles Gosselin, pour avoir usurpé le titre des DEUX FAUST, qui est ma propriété, car il n'existe pas dans l'original, et je  ne l'ai établi dans cette forme que pour marquer la distinction bien tranchée qui existe entre la traduction de M. Henri Blaze, qui est complète, et les précédentes, qui ne contiennent que l'épisode de Marguerite [c’est-à-dire le « Premier Faust »] ». La semaine suivante, Nerval répondait, dans les mêmes colonnes : « Le titre des Deux Faust n'est pas à M. Charpentier, mais à tout le monde, puisqu'il existe deux Faust de Goethe et qu'il est impossible de les intituler autrement ».

Pas tout à fait impossible, apparemment, puisque finalement, les deux éditeurs ont opté pour un autre titre, sans avoir à en passer par les tribunaux !

 

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