Michel Jeanneret (1940-2019)
Professeur honoraire de littérature française à l’Université de Genève et membre du Conseil de la Fondation Bodmer, Michel Jeanneret a été codirecteur du Bodmer Lab. Il a assuré la liaison entre les deux institutions dès les débuts du Bodmer Lab. Ses publications portent surtout sur la culture et la littérature de la Renaissance et de l’âge classique.
Hommage à Michel Jeanneret
La disparition de Michel Jeanneret, co-directeur du Bodmer Lab depuis ses débuts, nous laisse dans une immense tristesse.
Il a initié, nourri, accompagné le Bodmer Lab de son énergie, de son érudition et de sa rigueur. Chaque personne ayant pris part au projet lui doit beaucoup.
Il savait heureusement combien nous lui en étions reconnaissants, car nous avions pu le lui dire maintes fois.
Michel Jeanneret nous a appris à rêver grand, mais avec une attention intransigeante aux détails. En dépit de son autorité et de son expérience, il n’a jamais délégué à d’autres les tâches les plus pratiques, ni les plus ingrates. Toute activité intellectuelle, y compris les humanités numériques, relevait pour lui de l’artisanat. Il convenait d’en superviser tous les gestes afin de garantir la qualité de l’objet final. Il a aidé à penser le Bodmer Lab et à le faire exister au jour le jour. Sans lui, ce projet n’existerait pas.
Spécialiste internationalement reconnu de la Renaissance européenne, il a fait résonner un rire très rabelaisien au sein du Bodmer Lab. Le monde n’était pas parfait? Il s’en réjouissait avec gourmandise et bienveillance.
Un passage de son dernier livre, J’aime ta joie parce qu’elle est folle, résume cette sagesse qu’il avait su atteindre en fréquentant ses auteurs fétiches — et dont il a réussi, par sa présence constante à nos côtés, à nous transmettre l’exigence:
« Angoisse dérive de angustiae, étroitesse, lieu resserré: celui qui en sort abat des murs, rompt des entraves et c’est dans ce mouvement de libération que je situe l’allégresse dont il (est) question (dans ce livre). Elle n’est pas une grâce tombée du ciel, mais une action, un combat, l’effort par lequel l’homme s’arrache à la prison, où souvent il s’est enfermé lui-même, pour prendre le large, et se sentir élargi. Le sujet qui se délie de l’oppression se réapproprie soi-même et reprend possession du réel. Il libère les puissances de vie que conventions et contraintes avaient appesanties et engourdies. A la sensation physique de délivrance peut d’ailleurs s’ajouter, ou se substituer, celle d’apesanteur: soulevé par la joie, l’homme s’allège, il échappe à la gravité, comme si plus rien, ni les cloisons ni le poids des devoirs, ne pouvait arrêter son essor. »
Merci Michel, de nous avoir légué cette joie possible des vivants.