Cette édition de 1542, parfois attribuée — de façon erronée — à l’atelier lyonnais de Pierre de Tours (dont elle copie une production antérieure), est due à une officine normande. Raphaël Cappellen a confirmé, à partir d’une analyse matérielle (caractères B 85 et lettrines), l’attribution aux successeurs de Laurent Hostingue (attribution déjà proposée par Pierre Aquilon et communiquée à Brigitte Moreau). Voir Raphaël Cappellen, « Ni Lyon, ni Paris ? Sur quelques impressions gothiques des textes rabelaisiens et para-rabelaisiens » (L’Année rabelaisienne, no 1, 2017, p. 297-331, ici p. 307-310), où sont encore données les informations suivantes : « […] l’édition Hostingue n’est pas qu’une copie des dernières impressions de François Juste ; elle reproduit les impressions justiennes assorties du cahier indépendant, adjoint par Pierre de Tours (NRB, 25 ; USTC 9940), collaborateur de François Juste, qui contenait un texte attaquant, en des termes bien peu voilés, l’édition rabelaisienne procurée par Étienne Dolet en 1542 [et dont un ex. figure dans la Bibliotheca Bodmeriana]. Cette épître de quatre pages et demi accuse Dolet en des termes trop rabelaisiens pour qu’on ne soit pas amené à suspecter une participation de maître François à la rédaction de ce petit règlement de comptes lyonnais. L’atelier Hostingue reproduit donc l’ensemble, le cahier indépendant de Pierre de Tours étant fondu comme prologue aux œuvres de Rabelais. […] L’édition caennaise ne se contente pas de reprendre ce titre [i. e. celui qu’avait choisi P. de Tours] ; elle renchérit sur la parodie du récit historique en adjoignant au genre des annales celui des chroniques : Grands Annales [ou chroniques (add. Hostingue) Tres veritables des Gestes merveilleux […] enchronicquez par feu. Maistre Alcofribas : abstracteur de quinte essence. Le choix du terme chroniques, redondant par rapport au facétieux participe enchroniquez, permet également d’installer une ambiguïté notable, profitable à qui souhaite attirer le chaland, puisqu’il identifie, dès cette enseigne qu’est la page de titre, les textes rabelaisiens aux divers Chroniques gargantuines. » Cette édition se signale par la copie qu’elle donne de l’avertissement au lecteur qu’avait publié Pierre de Tours — soit une attaque acerbe contre Étienne Dolet, « Monsieur Plagiaire ». On en trouvera le texte translittéré ci-dessous (avec dissimilation i/j et u/v, mention des coquilles évidentes et des leçons différentes qu’on lit dans l’édition Pierre de Tours [PdT]) : < [f. Ai v] > Limprimeur au Lecteur Salut. Affin que tu ne prenne la monnoye [faulse monnoye PdT] pour la bonne (ayme [sic] lecteur [amy lecteur PdT]) & la forme fardee : pour la nayve : & la bastarde : & adulterine edition du present œuvre/ pour la legitime & naturelle. Soies adverty que par avarice a este soubstrait lexemplaire de ce livre encores estant soubz la presse : par ung Plagiaire homme encline a tout mal/ & en desadvancant mon labeur/ & petit profit espere : a este par luy imprime hastivement : non seulement par avare couvoitise de sa propre utile pretendue : mais ausi [sic : aussi PdT] : & dadventage par envieuse affection de la perte : et du dommaige daultruy. Comme tel monstre est ne pour l’ennuy : & injure des gens de bien Toutesfois pour ladvertir [t’advertir PdT] de lenseigne & mer- < [Aii r]> que [marque PdT] donnant a cognoistre le faulx aloy : du bon & vray. Saches que les dernieres fueilles de son œuvre plagiaire ne sont correspondantes a celles du vray original que nous avons eu de lautheur. Lesquelles aussi/ apres avoir prins garde (combien que trop tard) a sa fraudulente supplantation il na peu recouvrer. Celluy Plagiare [sic : Plagiaire PdT] injurieux non a moy : seullement : mais a plusieurs aullres [sic : aultres PdT]. Cest ung Monsieur (ainsi glorieusement par soymesme surnomme) homme tel que chascun saige le congnoist. ¶ Les œuvres duquel ne sont que ramas : & eschantillonneries levees des livres daultruy : par luy confusement amoncellees/ ou elles estoient bien ordonnees. Dond [sic : D’ond PdT] lesperit de Villanovanus se indigne destre de ses labeurs frustre : Nizolius en est offense : Calepin se sent desrobe : Robert Estienne cognoist les plus riches pieces de son thresor mal desrobees : & pirement deguisees & appropriees. De lesperit duquel ne sortirent oncques compositions ou il eust honneur/ ains mocquerie desdaigneuse. Lesquelles toutesfoys il ose enrichir/ & farder de braves/ & manificques tiltres/ tellement que le portal surmonte ledifice a noblir du Privilege du Roy en abusant le Roy & son peuple : pour donner a entendre < [A ii v] > que les Livres des bons autheurs/ comme de Marot de Rabelais/ & plusieurs aultres/ sont de sa facon. Ne scet on pas bien que en certains Livres en Chirurgie : en Practicque & aultres il a prins argent des Imprimeurs : & Libraires pour mettre Privilege du roy ? Cela nest ce point abus digne de peine ? Mais (que plus est) qui a oncque veu ce Privilege ? a qui la il montre ? Cartainement [sic : Certainement PdT] pour quelconque requeste oncques a homme ne losa monstrer. Parquoy il est vray semblable : que possible le Roy luy a octroye tel Privilege : que persone nayt a vendre : ne sur imprimer/ les Livres quil aura faictz sinon luy mesmes. Mais la raison ? La raison est : pour ce que gens scavans cognoissent assez quil na pas esperit : ne scavoir de mettre rien de soy en lumiere qui soit a son honneur. O la grande & haulte entreprinse : & digne de tel homme inspire de Lesperit de Ciceron/ avoir redige en beau volume le livret & gaigne pain des petitz revandeurs nomme par les Bisouars, Fatras a la douzaine. Vrayement on len debvroit bien remunerer : & telles belles besoignes meritent bien que Evesques/ & prelatz soient par ung tel ouvrier esmouchez dargent. Toutesfoys apres que les montaignes ont este enceites [sic : enceinctes PdT] : & que ung petit rat < [A iii r] > seullement en est yssu. Le monde ne sest peu abstenir de rire : & se mocquer en disant. Comment ung tel homme/ qui se dict si savant : & si parfaict Ciceronian : se mesle il de faire ces folies en francoys ? que ne se declaire il en bonnes œuvres : sans faire ces viedazeries : roignonnant/ moillant plaisantant/ declarant. (car telz sont sex [sic] beaulx motz costumiers) viaidasant/ ladrizant/ & telles couleurs Rethoricques/ qui ne sont pas Ciceronianes/ mais dignes destre bailles a mostardiers pour les publier par la ville. Tel est ce Monsieur. A dieu lecteur ly/ & Juge. Faut-il attribuer ce texte à Rabelais lui-même ? La critique n’a pas hésité à avancer cette hypothèse, tant les indices abondent : la verve semble celle du Maître, de même que le lexique ou certains motifs bien connus (p. ex. le lieu horatien de la montagne accouchant d’une souris : cf. Tiers livre, ch. XXIV), ou encore — respectés dans la seule édition de Pierre de Tours, abandonnés chez les successeurs d’Hostingue — les orthographica (graphies, diacritiques, apostrophes) propres à un « Rabelais grammairien » que nous connaissons désormais fort bien. Sur cette question (et sur la brouille Rabelais-Dolet dont le pamphlet témoigne), voir notamment Mireille Huchon, « Rabelais et Dolet », dans Étienne Dolet 1509-2009, dir. Michèle Clément, Genève, Droz, 2012, p. 345-359.